lundi 14 janvier 2008

Les vidéos de Pinault



Une heure de train et hop !, on débarque à la gare de Lille. Puis quelques pas et le but est atteint : le tri postal. Ce nouveau lieu culturel lillois abrite l’exposition « Passage du temps », constituée d’un ensemble de vidéos choisies dans la collection de François Pinault par Caroline Bourgeois. 

L’entrée en matière est spectaculaire : on est accueilli par ‘Eblouissement’, œuvre magistrale de Dan Flavin aux dimensions majestueuses car elle nécessite une salle de 50 mètres de long. Ceci explique qu’elle n’ait jamais été réinstallée depuis 1973 au Kunstmuseum de Cologne, lieu pour lequel elle avait été créée. Il s’agit d’une double rangée de néons verticaux rouges, jaunes, bleus et verts. Le mélange optique des quatre couleurs primaires (en lumière, le vert est la 4e couleur primaire) crée un halo blanc renforçant l’effet surréel et mystique de l’installation. La sensation qu’a le visiteur en pénétrant dans la vaste salle illuminée est un peu comparable à celle que l’on éprouve en marchant dans une église : être dans un lieu sacré.

Ensuite, la section « années 70 » présente un choix d’artistes précurseurs dans le domaine de la vidéo comme la très intéressante installation « Body Press » de Dan Graham : deux projecteurs projettent face à face des images en noir et blanc de personnages nus et de leur reflet. Ces effets de miroirs perturbent la notion d’espace habituelle. Des installations photographiques sont également présentées dont deux étonnantes séries de Cindy Sherman dans lesquelles elle se travestit et se met en scène pour dresser une typologie d’usagers de bus (« Bus riders series ») et d’assassins (« Murder Mystery series »).

Au premier étage, les deux vidéos « Hunde » et « Busi » de Fischli & Weiss interpellent par leur sujet : la psychologie animale, en prêtant des sentiments humains au chat et au chien. 

La scénographie a été pensée avec pertinence puisqu’elle ménage à chaque étage une zone de lumière entre deux zones d’ombre, nécessaire pour le bon visionnage des vidéos. Ainsi le visiteur sort de la torpeur dans laquelle l’a mise son immersion dans le noir, ce qui lui permet aussi de se régénérer et d’aborder le thème suivant avec plus de disponibilité d’esprit.

« Histoires de cinéma » est riche de différents moments à commencer par le visionnage du dessin animé de William Kentridge « Stereoscope ». On a le souffle littéralement coupé devant tant d’habileté dans la mise en place du rythme des images et des effets sonores qui accompagnent le dessin autour du thème de l’apartheid en Afrique du Sud. Avec « L’ellipse », Pierre Huygues s’immisce dans le long-métrage de Wim Wenders ‘L’Ami Américain’ en intégrant entre deux séquences du film, une séquence qu’il a tourné lui-même. L’idée est intéressante. Enfin, le thème trouve une brillante illustration avec le fameux « Trough a looking glass» de Douglas Gordon dans lequel la même scène de « Taxi Driver » de Martin Scorcese (« You’re talking to me ? ») est projetée sur deux murs opposés. L’effet de miroir – légèrement décalé - ainsi créé est saisissant pour le spectateur qui se retrouve entre les deux !!

Puis, le deuxième étage réserve encore de bons moments. Dans la section « Histoires de vies et de survies », l’installation intitulée « Rapture » de Shirin Neshat est constituée de deux vidéos face à face. Dans l’une, les protagonistes sont féminines et font face à l’horizon lointain sur la mer (cf.image ci-dessus) : symbole d’espoir et de liberté ? ; tandis que l’autre film présente uniquement des hommes enfermés dans une citadelle : symbole de pouvoir ?. Il s’agit de réfléchir aux places respectives de l’homme et de la femme dans la culture islamiste. Et si les hommes, qui exercent le pouvoir, étaient finalement plus enfermés dans les codes et traditions que les femmes qui y sont soumises mais qui aspirent à autre chose ? L’image en noir et blanc, les plans larges et longs, donnent à cette double oeuvre une dimension esthétique, qualité que l’on trouve rarement dans les vidéos. En effet, au fil de l’exposition j’ai été étonnée de constater que la plupart des vidéastes ont très rarement pour but de produire de ‘belles’ images. En revanche les propos sont parfois bouleversants comme c’est le cas dans « Nocturnes » du jeune vidéaste d’origine albanaise Anri Sala. Il filme en parallèle deux hommes : l’un est militaire et raconte l’expérience de tuer un homme ; l’autre collectionne les poissons et vit dans la lumière verdâtre de ses aquariums ; tous deux laissent transparaître la solitude qui les habite.
Après ces émotions, l’interlude (ou zone de lumière) est bien venu pour aborder le dernier thème qui n’est pas le moins riche puisqu’il réunit sous le thème : « Passage du temps » des œuvres de Bill Viola, Hiroshi Sugimoto, Gary Hill, Thomas Struth, Andres Serrano et dont le point final est mis par une peinture de Ed Rusha sur laquelle on peut lire « The End ».
Le mystique « Going forth By Day, the voyage » de Bill Viola impressionne par ses dimensions, ses effets sonores et sa plastique hyper réaliste. L’installation de Gary Hill, dans laquelle on pénètre avec appréhension après avoir lu qu’elle était déconseillée aux femmes enceintes et aux cardiaques, traite de la genèse de l’image et joue sur l’adaptation de l’œil à la lumière et à l’obscurité. Enfin, mon dernier coup de cœur va aux superbes photos de pins au grain impressionniste de Sugimoto.

L’exposition est riche, son contenu est digne des collections d’un grand musée. On peut la visiter tranquillement jusqu’au bout sans avoir une sensation d’overdose. Les explications sont didactiques mais pas abrutissantes. On les lit avec intérêt et elles éclairent le visionnage sans trop orienter le regard. En bref, l’exposition est idéalement conçue pour permettre au néophyte de s’intéresser à l’art vidéo. Je pense même qu’elle peut convertir certains sceptiques.
De plus, elle donne l’occasion d’une petite escapade dans la capitale des Flandres où il fait bon savourer une gaufre en déambulant dans les rues de la vieille ville !

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