jeudi 14 août 2008

Miroslav Tichy ou la photographie nécessaire


Au 4e étage du Centre Pompidou, l'exposition de Miroslav Tichy dénote. Ses photographies petit format à l'aspect sale et abîmé sont collées sur des morceaux de cartons pauvres ou tout autre matériaux récupérés, parfois décorés sommairement par l'artiste, au stylo ou aux crayons de couleurs. Seul l'encadrement uniforme avec baguettes de bois classiques permet de remettre en conformité avec les cimaises blanches du grand musée cet ensemble d'images issues du capharnaüm quotidien de l'artiste.

Ces images sont pour ainsi dire 'miraculées'. Miroslav Tichy vit avec elles. Il n'a pas pour habitude, comme tout artiste consciencieux et conscient de la valeur de ce qu'il produit, de ranger proprement et raisonnablement son travail. Miroslav Tichy les intègre à son quotidien sans égards pour leur fragilité, en les laissant éparpillées ça et là dans son intérieur. Elles prennent part à sa vie de solitaire sans pour autant être des objets de contemplation. Elles ont donc été soumises à rude épreuve et portent l'empreinte du temps qui passe. La vie les a abîmées. Ce sont des images rescapées !


Plus encore, elles semblent surgies d'un autre monde ou tout au moins d'une autre époque, celle des débuts de la photographie, lorsque les images étaient obtenues comme par miracle grâce à des procédés empiriques. Cette impression correspond bien à une réalité : Miroslav Tichy, comme les précurseurs du XIXe siècle, fabrique lui-même ses appareils photos. Il bricole avec toutes sortes d'objets récupérés des machines capables de produire ces images mystérieuses. Les procédés archaïques dont elles sont issues leur confèrent une certaine fragilité et un caractère magique et fantomatique. Il faut faire un effort pour concevoir qu'elles procèdent bien de la réalité. Les tâches de café ou autres souillures les raccrochent alors à la matérialité bien réelle de la vie.

L'empreinte de la lumière est palpable. Elle semble avoir effleuré le papier pour laisser place à de subtils camaïeux de gris faisant apparaître comme par magie des femmes de dos, des femmes allongées en maillots de bain, des portraits de femmes…Les photographies sont prises sur le vif, à l'insu des sujets : ce sont des images volées… Le résultat est parfois flou ou peu lisible : une section de l'exposition est d'ailleurs intitulée 'Apparitions/Disparitions'. On pense à Boltansky… Quelques fois, pour « améliorer » l'image, dit-il, Miroslav Tichy n'hésite pas à la rendre plus lisible en soulignant au stylo ou au crayon la forme des fesses, du visage, des cheveux… J'avoue trouver dommage cette intervention qui abîme la poésie.

L'aspect flou, tâché, crayonné, abîmé ; les compositions avec superposition, les halos de lumière blanche, les cadrages serrés ; la texture granuleuse et poussiéreuse, tout contribue à donner à ces photographies un caractère pictural. Il regarde les femmes et le monde avec le regard du peintre qu'il a été, à ses débuts. La frontière devient ténue entre la représentation photographique et la représentation picturale. Certaines œuvres rappellent d'ailleurs le travail de Gerhard Richter qui, à l'inverse, a fait de la peinture comme de la photographie.

« Photographier signifie peindre avec la lumière », disait Miroslav Tichy.













Pour plus d'images, voir TichyOcean

vendredi 1 août 2008

Étrange et exubérante peinture !

L'exposition de Peter Doig constitue un bel ensemble. L'accrochage chronologique laisse apparaître une cohérence de ton et de style selon les périodes. Par conséquent, les toiles sont mises en valeur, soutenues les unes par les autres. En revanche, en les regardant une par une, j'ai trouvé leur qualité inégale, les dernières salles étant, à mes yeux, les moins bonnes. Certaines toiles, à la composition et aux couleurs équilibrées, ont une force visuelle indéniable. D'autres sont traitées plus grossièrement et paraissent lourdes et chargées.

Souvent, l'aspect visuel est complexe : l'artiste superpose les couches, joue sur les textures, fait cohabiter une touche lâchée et abstraite avec des motifs figuratifs à l'aspect parfois photographique. Le contenu est également très changeant : entre images semblant issues des délires baroques d'un drogué et vues quasi-cinématographiques en plans très découpés, il y a cependant toujours une place faite au mystère. La Nature est omniprésente et l'Homme y apparaît dans sa solitude comme si sa présence dans ces lieux était absurde…

Un autre aspect notable de la peinture de Doig est qu'elle comporte ça et là, des citations plus ou moins directes à des peintres : est-ce que l'artiste cherche ainsi à revendiquer son statut de peintre ? Veux-t-il s'affirmer comme porteur du flambeau de la tradition de la peinture ? 

Devant Le mur Lapeyrouse (image ci-contre), on pense à Edward Hopper. Grande Rivière rappelle les peintures du Douanier Rousseau et plus encore, l'étrange Auberge à Muldentalsperre (image ci-dessus) semble se référer directement à la toile intitulée Un soir de Carnaval que l'on avait pu voir lors de l'exposition consacrée au peintre des jungles en 2006 au Grand Palais. Mais, le rapprochement qui prévaut selon moi est celui de la peinture de Bonnard notamment en ce qui concerne les textures et les tons. 

(je me suis amusée à juxtaposer Cabinet de toilette au canapé rose de Bonnard / Ski Jacket de Doig / le triptyque Méditerranée de Bonnard / Blotter de Doig)

Malheureusement pour Peter Doig, à peine sortie des pièces réservées à l'exposition, je suis tombée nez à nez avec le magnifique Nu dans le bain de Bonnard qui a immédiatement éclipsé tout ce que je venais de voir !!

Cela dit, je ne voudrais pas paraître trop sévère car j'ai tout de même apprécié cette exposition. Il s'agit d'une peinture de mélanges et de citations, mais le travail est cohérent car tous les ingrédients, aussi hétéroclites soient-ils, sont mêlés et travaillés de façon très personnelle et je l'admets…efficace. On adhère facilement au monde très interprété de Peter Doig.