jeudi 31 janvier 2008

Dans l'aile Denon du Louvre...

Dans l’aile Denon du Louvre, deux expositions de dessins sont encore accrochées quelques jours.

Les deux salles, qui constituent un trait d’union apaisant entre le flot incessant parcourant la galerie italienne d’une part et la salle des grands formats français du XIXème siècle d’autre part, accueillent Polidoro da Caravaggio. Le musée a sorti de ses réserves un ensemble, paraît-il unique au monde, de dessins de cet artiste lombard du XVIème siècle, élève de Raphaël puis assassiné en 1543 à Messine par un assistant cupide !













Pour ses grandes compositions, l’artiste utilise en général des papiers lavés beiges ou bleus, dessine souvent à l’encre brune, parfois après un tracé préparatoire à la pierre noire. Il pose finement son trait sensible à la plume et crée les modelés grâce à des lavis bruns et des rehauts de gouache blanche. Mais souvent, ces rehauts blancs m’ont paru trop accentués, ce qui rend le dessin plus statique, rigide et froid qu’il ne l’est en réalité. Cependant, certaines des compositions comme Célébration d’une messe (image de gauche) ou Le Christ porté au tombeau (image de droite) gardent un charme, un mystère et une souplesse qui séduisent.

J’ai beaucoup apprécié les modestes petites feuilles comme Vieil homme barbu, drapé, appuyé sur un bâton (Saint Joseph ?) ou Un Homme vu de dos, portant un enfant. Les formes simples et libres de ce dernier m’ont parues particulièrement modernes. 












Les études à la sanguine comme la Scène de peste sont souvent superbes. La composition ébauchée laisse transparaître le travail de l’artiste et son style apparaît dans sa vérité et sa liberté. On comprend alors mieux le qualificatif de « génie vagabond » que Vasari utilise au sujet de Polidoro dans les Vite.

Sortant de cette pénombre, nécessaire pour la conservation des dessins, on rejoint l’éblouissante galerie italienne que l’on traverse jusqu’aux œuvres espagnoles. Puis, passée la peinture ibérique, on atteint une salle qui présente, sous le titre « Dessins-Frontières-Dessins», un ensemble de 99 feuilles choisies par Anselm Kiefer dans les collections graphiques du musée autour de l’idée de frontière. Celle-ci étant entendue aussi bien comme une ligne de démarcation concrète, que comme le passage d’un état à un autre, d’une situation à une autre…

Ici, je n’évoquerais que mon coup de cœur : le dessin de Jacopo Palma intitulé Incrédulité de Saint Thomas. J’ai été saisie par sa beauté, l’élégance du rythme des ombres et des lumières, la frise de personnages qui évite très habilement la rigidité qu’aurait pu entraîner une telle composition, le traitement très libre et suggéré de l’ensemble. Émue par cette œuvre, j’ai ensuite été consulter l’inventaire en ligne du département des arts graphiques du Louvre (lien) pour voir les autres dessins de Jacopo Palma il Giovane que possède le musée : il y en a de nombreux qui ont l’air superbe, d’un style enlevé et puissant, contenant une énergie d’une modernité à couper le souffle. À quand une exposition des œuvres sur papier de cet excellent artiste vénitien ?...

lundi 21 janvier 2008

Robert Adams et Lee Bull à la fondation Cartier

Ancien professeur de littérature anglaise à l’université, l’américain Robert Adams se convertit à la photographie en 1967. Les images composant les trois séries présentées à la Fondation Cartier ont été prises entre 1990 et 2003 et ont une valeur de témoignage environnemental. En effet, l’artiste explique, dans une vidéo fort intéressante montrée dans l’exposition, que ses photographies ont pour rôle de fixer un paysage à un moment donné ; elles permettent également de montrer les crimes contre la nature qui ont lieu dans l’arrière-pays de la côte ouest américaine.

Robert Adams habite dans l’Oregon, au bord de l’Océan Pacifique. Animé par l’amour de cette terre, il a entrepris de photographier inlassablement, les deux types de paysages entre lesquels il habite 
: à l’Ouest, l’Océan Pacifique, à l’Est, l’une des plus belles forêts pluviales du monde…massacrée ! D’un côté, l’immensité de l’océan et sa beauté en mouvement, inexorable, de l’autre, le chaos et la destruction au service d’une économie de marché sans foi ni loi.Les images ont ainsi une véritable valeur documentaire qui s’ajoute à leur valeur esthétique rappelant quelque peu les photographies de paysage du 19e siècle.

Le photographe mène à bien sa « mission » de manière systématique et austère (je n’emploie pas ici le terme dans un sens péjoratif) : les photographies, en noir et blanc, sont toutes présentées dans le même format moyen, encadrées, très sobrement, de la même manière. Seule la couleur des baguettes du cadre peut varier d’une série à l’autre, du blanc au gris. L’aspect sériel est également renforcé par l’accrochage : toutes les images sont présentées les unes à côté des autres avec une hauteur et un espacement standards. Il en résulte que le travail prend toute sa force et sa valeur dans sa globalité. Une photographie de l’océan, seule, sortie de son contexte, perdrait alors de sa force, aussi belle soit-elle.

Les paysages qui nous sont donnés à voir convoquent de grands sentiments : beauté, sublime, immensité d’un côté ; révolte, tristesse et désolation de l’autre. On peut les qualifier de sauvages soit parce qu’ils semblent hostiles à l’homme en raison de la force qui en émane – c’est le cas de l’océan – soit parce que l’homme les a sauvagement déchiqueté…
Quoi qu’il en soit ces images interrogent sur la place de l’homme dans la nature, l’humilité et le respect dont il devrait faire preuve et le rôle qu’il peut jouer pour la préserver. Le sujet est d’actualité !! mais quoi de plus efficace qu’un travail artistique comme celui-ci pour nous sensibiliser et nous faire réfléchir.


Au rez-de-chaussée, l’artiste coréenne Lee Bull expose une douzaine de sculptures ou installations. Outre son nom, qui semble tout droit sorti d’un conte pour enfants, les sculptures en perles, acier, filets et chaînettes, dont la forme rappelle parfois celle d’un lustre, nous transportent dans un monde fantasmagorique. Structures complexes, aux dimensions parfois imposantes mais gardant leur légèreté visuelle grâce aux milles transparences qui les composent, elles m’ont fait penser à des vaisseaux qui nous emmèneraient dans un voyage onirique. Les structures se reflètent dans le sol-miroir puis, le jeu de transparence se poursuit en faisant écho à l’architecture de verre édifiée par Jean Nouvel puisque l’installation se prolonge à l’extérieur où l’on aperçoit d’autres sculptures plus légères et dont la transparence est telle qu’elles sont presque invisibles.

lundi 14 janvier 2008

Les vidéos de Pinault



Une heure de train et hop !, on débarque à la gare de Lille. Puis quelques pas et le but est atteint : le tri postal. Ce nouveau lieu culturel lillois abrite l’exposition « Passage du temps », constituée d’un ensemble de vidéos choisies dans la collection de François Pinault par Caroline Bourgeois. 

L’entrée en matière est spectaculaire : on est accueilli par ‘Eblouissement’, œuvre magistrale de Dan Flavin aux dimensions majestueuses car elle nécessite une salle de 50 mètres de long. Ceci explique qu’elle n’ait jamais été réinstallée depuis 1973 au Kunstmuseum de Cologne, lieu pour lequel elle avait été créée. Il s’agit d’une double rangée de néons verticaux rouges, jaunes, bleus et verts. Le mélange optique des quatre couleurs primaires (en lumière, le vert est la 4e couleur primaire) crée un halo blanc renforçant l’effet surréel et mystique de l’installation. La sensation qu’a le visiteur en pénétrant dans la vaste salle illuminée est un peu comparable à celle que l’on éprouve en marchant dans une église : être dans un lieu sacré.

Ensuite, la section « années 70 » présente un choix d’artistes précurseurs dans le domaine de la vidéo comme la très intéressante installation « Body Press » de Dan Graham : deux projecteurs projettent face à face des images en noir et blanc de personnages nus et de leur reflet. Ces effets de miroirs perturbent la notion d’espace habituelle. Des installations photographiques sont également présentées dont deux étonnantes séries de Cindy Sherman dans lesquelles elle se travestit et se met en scène pour dresser une typologie d’usagers de bus (« Bus riders series ») et d’assassins (« Murder Mystery series »).

Au premier étage, les deux vidéos « Hunde » et « Busi » de Fischli & Weiss interpellent par leur sujet : la psychologie animale, en prêtant des sentiments humains au chat et au chien. 

La scénographie a été pensée avec pertinence puisqu’elle ménage à chaque étage une zone de lumière entre deux zones d’ombre, nécessaire pour le bon visionnage des vidéos. Ainsi le visiteur sort de la torpeur dans laquelle l’a mise son immersion dans le noir, ce qui lui permet aussi de se régénérer et d’aborder le thème suivant avec plus de disponibilité d’esprit.

« Histoires de cinéma » est riche de différents moments à commencer par le visionnage du dessin animé de William Kentridge « Stereoscope ». On a le souffle littéralement coupé devant tant d’habileté dans la mise en place du rythme des images et des effets sonores qui accompagnent le dessin autour du thème de l’apartheid en Afrique du Sud. Avec « L’ellipse », Pierre Huygues s’immisce dans le long-métrage de Wim Wenders ‘L’Ami Américain’ en intégrant entre deux séquences du film, une séquence qu’il a tourné lui-même. L’idée est intéressante. Enfin, le thème trouve une brillante illustration avec le fameux « Trough a looking glass» de Douglas Gordon dans lequel la même scène de « Taxi Driver » de Martin Scorcese (« You’re talking to me ? ») est projetée sur deux murs opposés. L’effet de miroir – légèrement décalé - ainsi créé est saisissant pour le spectateur qui se retrouve entre les deux !!

Puis, le deuxième étage réserve encore de bons moments. Dans la section « Histoires de vies et de survies », l’installation intitulée « Rapture » de Shirin Neshat est constituée de deux vidéos face à face. Dans l’une, les protagonistes sont féminines et font face à l’horizon lointain sur la mer (cf.image ci-dessus) : symbole d’espoir et de liberté ? ; tandis que l’autre film présente uniquement des hommes enfermés dans une citadelle : symbole de pouvoir ?. Il s’agit de réfléchir aux places respectives de l’homme et de la femme dans la culture islamiste. Et si les hommes, qui exercent le pouvoir, étaient finalement plus enfermés dans les codes et traditions que les femmes qui y sont soumises mais qui aspirent à autre chose ? L’image en noir et blanc, les plans larges et longs, donnent à cette double oeuvre une dimension esthétique, qualité que l’on trouve rarement dans les vidéos. En effet, au fil de l’exposition j’ai été étonnée de constater que la plupart des vidéastes ont très rarement pour but de produire de ‘belles’ images. En revanche les propos sont parfois bouleversants comme c’est le cas dans « Nocturnes » du jeune vidéaste d’origine albanaise Anri Sala. Il filme en parallèle deux hommes : l’un est militaire et raconte l’expérience de tuer un homme ; l’autre collectionne les poissons et vit dans la lumière verdâtre de ses aquariums ; tous deux laissent transparaître la solitude qui les habite.
Après ces émotions, l’interlude (ou zone de lumière) est bien venu pour aborder le dernier thème qui n’est pas le moins riche puisqu’il réunit sous le thème : « Passage du temps » des œuvres de Bill Viola, Hiroshi Sugimoto, Gary Hill, Thomas Struth, Andres Serrano et dont le point final est mis par une peinture de Ed Rusha sur laquelle on peut lire « The End ».
Le mystique « Going forth By Day, the voyage » de Bill Viola impressionne par ses dimensions, ses effets sonores et sa plastique hyper réaliste. L’installation de Gary Hill, dans laquelle on pénètre avec appréhension après avoir lu qu’elle était déconseillée aux femmes enceintes et aux cardiaques, traite de la genèse de l’image et joue sur l’adaptation de l’œil à la lumière et à l’obscurité. Enfin, mon dernier coup de cœur va aux superbes photos de pins au grain impressionniste de Sugimoto.

L’exposition est riche, son contenu est digne des collections d’un grand musée. On peut la visiter tranquillement jusqu’au bout sans avoir une sensation d’overdose. Les explications sont didactiques mais pas abrutissantes. On les lit avec intérêt et elles éclairent le visionnage sans trop orienter le regard. En bref, l’exposition est idéalement conçue pour permettre au néophyte de s’intéresser à l’art vidéo. Je pense même qu’elle peut convertir certains sceptiques.
De plus, elle donne l’occasion d’une petite escapade dans la capitale des Flandres où il fait bon savourer une gaufre en déambulant dans les rues de la vieille ville !

Alberto Giacometti au Centre Pompidou

La scénographie de l’exposition, souvent critiquée, présente cependant l’avantage d’offrir des espaces ouverts les uns sur les autres grâce à des parois basses, ce qui permet au visiteur de circuler agréablement et d’avoir une vision d’ensemble.

Les œuvres présentées appartiennent pour la plupart à la Fondation Alberto et Annette Giacometti qui nous propose des peintures de jeunesse, des sculptures des différentes périodes, des photographies de l’artiste, des travaux décoratifs, des peintures et dessins de la maturité pour terminer – choix étonnant – avec des dessins de copie des maîtres, exercice auquel Giacometti s’adonne tout au long de sa vie.

Il est à noter que, parmi les sculptures, de nombreux plâtres sont présentés. Mais il aurait été intéressant que le spectateur ait un commentaire technique sur la manière dont se conçoit une sculpture et les différents stades et états par lesquels elle passe pour finalement être coulée en bronze (ou pas !). En effet, le travail technique qui mène à la sculpture de bronze est complexe, diversifié, et rares sont les occasions pour le public de recevoir un éclairage sur ces questions : le visiteur reste donc dans un flou qui donne parfois lieu à des suppositions de toutes sortes comme j’ai pu le constater lors de ma visite !

Celles que j’appelle les ‘peintures grises’, telle la série représentant son ami japonais Yanaihara, témoignent de sa liberté créative. Le pinceau, utilisé comme un crayon ou une plume vient accentuer ça et là les lignes de forces qui font la structure du modèle et ravive sa présence quasi fantomatique semblant enfouie dans les couches de peinture beige ou grise.
La grande liberté du geste se retrouve dans les figures modelées où les doigts de l’artiste laissent leur empreinte vigoureuse à tous les stades par lesquels passe la sculpture. En regardant de près la matière semble être un paysage escarpé et tourmenté, mais dans une vision d’ensemble, cette vibration de la matière laisse transparaître l’énergie ‘maîtrisée’ de l’artiste.

A travers les dessins on sent le regard propre au sculpteur : le corps ou le visage humains sont perçus à partir de leur architecture interne, les plans sont structurés et malgré le geste libre, laissant aller le crayon sur la feuille, il cherche l’essentiel. Toute anecdote est évincée.
Il semble rechercher une vérité simplifiée en réduisant le volume au trait dans la sculpture (silhouettes filiformes) comme dans la peinture (traitement quasi squelettique des corps), où il n’emploie d’ailleurs qu’une palette chromatique très restreinte. Il en résulte une vision désincarnée de la figure humaine, pourtant ancrée dans la terre par des socles massifs pour ce qui concerne certaines sculptures filiformes.