vendredi 22 février 2008

A.R. Penck au MAMVP

Depuis quelques jours, on peut découvrir au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris un artiste prolifique, auteur d'une œuvre protéiforme. Politique, art, écriture, symboles mais encore peinture, sculpture, littérature, mathématique, musique, édition : A.R. Penck mélange les genres avec une grande liberté et un appétit de créer insatiable.

Le nom par lequel il est communément désigné est en réalité l'un des nombreux pseudonymes que l'artiste allemand, né Ralf Winkler, s'est octroyé. Il reprend là le nom d'Albrecht Penck (1858-1945), géologue spécialiste de la période glaciaire. Le choix semble parlant et pertinent : l'œuvre de l'artiste, tout en présentant un aspect primitif, semble être le résultat de l'agglomération de différentes « strates » de l'histoire de l'art de l'humanité. En outre, comme le géologue, A.R. Penck restitue souvent une vision globale du monde : il mélange les références à différentes civilisations (aztèques, égyptiennes, africaines, etc…) et n'hésite pas à intituler une série d'œuvres Tableau-monde. On peut y voir une mappemonde aplatie dans laquelle il illustre la division du monde en deux blocs qui s'affrontent : la guerre froide.

Penck semble avoir pour but intime de rassembler, de fusionner.

Son œuvre se présente comme une profusion de signes éclectiques formant un langage universel : homme-bâton, flèches, croix, idéogrammes, mots, signes mathématiques, formes géométriques, symboles politiques ou religieux, etc… À ces signes, il n'hésite pas à mêler une expression plastique figurative ou abstraite pour finalement créer son propre mode de communication, sa propre écriture, compréhensible par tous.

J'ai envie de dire que son art est une « écriture expressionniste ». En effet, à l'aspect d'un système graphique, s'ajoute une intensité dans l'expression. Le geste de l'artiste, souvent très libre, rend l'énergie dépensée palpable. Il en résulte que les signes, même s'ils sont répétitifs, ne sont pas standardisés* comme ils peuvent l'être dans les œuvres de Keith Haring auquel on pense inévitablement en regardant certaines œuvres des années 80 ou plus récentes. L'art de Basquiat vient aussi à l'esprit devant les œuvres de Penck en ce qu'elles se rapprochent de l'art du graffiti. D'ailleurs les fonds, souvent très travaillés, ont une profondeur obtenue grâce à la superposition des couches de peinture et rappellent parfois la texture d'un mur. Mais d'une œuvre à l'autre, cet aspect du fond peut aussi bien rappeler le mur d'une grotte et les signes primitifs formés par d'épais traits noirs, les peintures rupestres…

Il me semble que l'œuvre de A.R. Penck présente un aspect ludique très marqué : le visiteur éprouve une véritable jubilation à décortiquer cette écriture, à repérer les références et citations abondantes. Mais la touche expressionniste, la crudité des propos et les couleurs (ou non-couleurs) radicales nous rappellent à une réalité sombre. J'ai trouvé cette œuvre foisonnante et passionnante, elle est à apprécier à la mesure de la générosité de l'artiste : sans modération.


* le terme 'standart' a été très utilisé par l'artiste, notamment comme concept ayant servi de base à une série de 31 œuvres déclinant la figure de l'homme-bâton sur différents fonds.