L’artiste fait partie de la jeune generation, héritière de l’Ecole de Vancouver, mais il s’en démarque en ayant choisi la video comme moyen d’expression plutôt que la photographie. Pourtant, la photographie n’a jamais été aussi présente que dans ce travail qui questionne ses caractéristiques substancielles et joue sur ses limites en explorant l’interstice qui la sépare de l’image animée, film ou vidéo.
Ainsi, il utilise une camera pour produire ses images mais cette camera est immobile, fixée sur un pied, elle capte des plans dans lesquels le mouvement n’est bien souvent que suggéré : un oiseau ou une voiture traversent l’image, le vent fait bruisser un arbre etc…les séquences sont très courtes mais les plans assez longs pour s’accaparer l’image et se rendre compte que, très peu changeante, elle est animée.
En somme, il introduit une notion de durée qui s’oppose à l’instant arrêté par la photographie. Cette durée permet de percevoir une fluidité mais elle reste assez subtile pour que l’on soit étonné de sentir la Vie dans ses images… Le spectateur est presque dupé ; il a la sensation d’être devant des photographies qui bougent, qui vivent. D’autant plus que l’artiste brouille encore les pistes lorsqu’il filme un personage statique : alors, le spectateur guette un mouvement de poitrine ou un petit tressaillement nerveux du visage pour s’assurer qu’il ne s’agit pas là de photographie. Autrement dit, l’artiste ne procède pas à une “immobilisation du Temps” mais il immobilise ses sujets!
Il semble qu’Owen Kydd cherche à insuffler la Vie dans la photographie qui, par ses caractéristiques : instantanée, immobile, silencieuse et definitive, “produit la Mort en voulant conserver la vie” (Roland Barthes, la Chambre Claire). Et, toujours selon Roland Barthes : “La Photo est comme un théâtre primitif, comme un Tableau Vivant, la figuration de la face immobile et fardée sous laquelle nous voyons les morts”.
A la lumière de ses propos, on peut considérer que le travail d’Owen Kydd colle au plus près l’identité de la photographie dans le but d'en éradiquer l’aspect morbide ou mélancolique. L’artiste se sert de la video pour créer, avec subtilité et malice, des images presque immobiles ou à l’immobilité vivante, silencieuses mais non définitives puiqu’elles comportent une certaine durée et donc une fluidité qui permet de penser qu’il y a un avant et un après. Il évite ainsi que “tout ce qui passe à l’intérieur du cadre meurt absolument, ce cadre franchi” (R. Barthes, la Chambre Claire).
L’absence de sons est encore source de confusion des genres: la camera capte une composition, une lumière, un mouvement, mais l’image reste silencieuse. Le silence agit aussi comme un facteur d’intériorité car la réalité filmée semble plus lointaine, moins tangible. La fluidité des images, propre à la video, rappelle à la vie tandis que le silence, attribut de la photographie, évite une trop forte presence de la réalité. Le regard est plus intérieur mais le spectateur reste présent aux sons de la réalité environnante: les bruits du musée en l’occurrence! Les sens ne sont pas complètement happés par l’oeuvre, ce qui ajoute mystère et complexité. On ne se projette pas entièrement dans la scène comme au cinema, on reste au bord!
C’est une oeuvre suggestive qui requiert la participation active du spectateur : des éléments lui sont donnés mais il lui appartient de poursuivre la construction, sa propre construction de l’oeuvre. A l’instar d’un film muet, les video silencieuses d’Owen Kydd laissent une marge au spectateur pour laisser cheminer son imagination. L’association de 3 diaporamas non syncronisés renforce encore cet aspect en permettant les associations visuelles et d’idées. Les images interagissent entre elles et donnent encore au spectateur une part de liberté dans sa manière de s’approprier l’oeuvre. Cela décuple les possibilités de capter l’oeuvre à sa façon, en fonction de ses données personnelles.
Sur les écrans alternent des portraits serrés ou en pied, des vues urbaines, architecturales, d’intérieur, … On se situe dans un environnement urbain ou semi urbain (suburb) : dans la banlieue post agricole de Vancouver (Mission), dans les rues de East Vancouver (Night), dans la banlieue de Los Angeles (Joshua). Aussi, ces prises de vues sont porteuses d’informations d’ordre ethnographique, offrant une foule de renseignement sur le mode de vie et la culture sur la côte ouest du continent nord américain. On peut donc aussi les concevoir comme une juxtaposition “d’instants durables” de la vie quotidienne et réelle, telle qu’elle est, sans événements.
Sur un plan purement formel, l’association des 3 diaporamas enrichi l’esthétique de l’oeuvre. On y perçoit une recherche sur les couleurs et ambiances lumineuses, particulièrement dans la série Night où s’allient les lumières artificielles créant des ambiances colorées vertes, mauves… D’autre part, le mouvement du diaporama se surajoute aux mouvements dans les images et la désyncronisation temporelle des trois diaporamas évite de fixer des triptyques statiques. Rien ne doit être fixe, tous doit être dans la fluidité, la transformation.
Mais tout échappe, on est toujours à la limite des concepts.
L’artiste joue sur le Presque, pas tout à fait, quasi, très peu, subtil, borderline. Il utilise la video pour mieux interroger la photographie, la pousser dans ses limites, s’extraire de l’immobilisme et jouer un jeu astucieux avec le temps!